J’ai sauvegardé mon Skyblog. Est-ce moi qui ai changé, ou internet ?
Tout d abord desole d etre restee si lontemps sans rien mettre…Je n ai pas d excuses…
C’est vrai que ça fait deux ans que je n’ai pas publié d’article sur ce blog. Mais est-ce que ça justifie un tel massacre de l’orthographe ?
Vous l’aurez peut-être deviné : cette incroyable introduction date du 31 août 2006, au-dessus d’un article sobrement intitulé Je veux un chien !!! SNIF SNIF BOU BOU !!!
Bienvenue dans mon Skyblog. Bienvenue dans vos années collège.
Nous sommes nos propres archivistes
J’ai tenu ce Skyblog du 20 avril 2005 au 13 novembre 2006, de mes treize à mes quatorze ans. Une ado franco-grecque, scolarisée au Lycée Franco-Hellénique d’Athènes. Sur vingt-neuf pages, il documente des moments historiques (Je viens juste de decouvrir youtube…), des photos du carnaval de l’école, des recensements du festival de Cannes et de défilés de mode, quelques paroles de chansons, des notices biographiques de star, des critiques de films… Un contenu assez standard sur la plateforme alors au summum de sa popularité.
Puis, j’ai grandi, et je me suis détournée de Skyblog. J’y retournais quand même de temps à autre pour vérifier que mon site n’avait pas été effacé. À chaque fois, c’était une pincée de soulagement, accompagnée d’un peu de mauvaise conscience. Je devrais le sauvegarder… En mai dernier, en plein syndrome prémenstruel, j’ai enfin pris mon courage à deux mains — après tout, vu la brume dans laquelle j’évoluais, je ne pouvais pas faire grand-chose de mieux.
Alors que Skyrock vient d’annoncer que la plateforme allait fermer le 21 août 2023, vous aurez peut-être envie de faire de même. Suivez le guide, et tout va bien se passer.
Bi1venu dan mon m0nde
Les cinq premières minutes du voyage sont les plus dangereuses : il est normal de ressentir des palpitations, une augmentation de la température corporelle, et une certaine difficulté respiratoire face à l’abondance de points d’exclamation, aux couleurs criardes, ou aux passions qu’on aurait préféré oublier. Et surtout, cette orthographe. C mon 1 text Chui toute emu Chai pa koi dir..lol Pourquoi s’infliger ça ?
Vous êtes libres de fermer l’ordinateur et remercier le dieu des internets du fait que tous ces trucs embarrassants vont bientôt disparaitre. Enfin, ils vont être anonymisés et conservés par l’INA et la BNF d’après l’annonce officielle, sans plus de détails pour l’instant.
Mais avant de tout envoyer valser, cliquez sur un de vos « fans » dans la colonne de droite, n’importe lequel. Vous vous apercevrez alors que tout le monde écrivait comme ça (ou, si vous avez l’esprit méchant, que les sites de vos amis sont encore plus gênants que le vôtre).
Acceptant que cette orthographe était une convention sociale, vous pourrez continuer votre navigation plus sereinement. Au bout de quelques pages, vous serez à nouveau bilingue en langage SMS (pour les personnes nées après 2000 : les téléphones à touche n’avaient pas d’autocorrect, et ça allait clairement plus vite d’écrire bi1 que bien).
Embrace the cringe
Un terme revient souvent quand on parle des skyblogs : cringe. Un mot venu de l’argot anglo-saxon qui signifie « malaisant ». J’avais mis malaisant entre guillemets parce que je pensais que c’était un néologisme, mais cet article très complet de France Culture m’apprend qu’il est rentré dans Le Robert en 2019. À peu près au moment où on commence à utiliser cringe ? En tout cas, il n’existait pas de mon temps #okboomer.
C’est sûr que l’on ressent de la gêne face à notre moi adolescent. Mais pourquoi ?
Certes, ce n’est pas passionnant. Mais bon, l’école c’était toute ma vie, et de mémoire j’aimais plutôt bien y aller (ou pas) ?
Un autre exemple :
Ok, j’ai rigolé au « en réalité », comme si j’avais déjà croisé Uma Thurman dans ma banlieue athénienne. Aujourd’hui, je sais comment cette fixation sur des corps blancs et retouchés est problématique. Mais je me rappelle aussi des heures que je passais à découper des images dans des magazines ou à les imprimer depuis ffffound.com (RIP) pour orner mon agenda. Je faisais des semaines thématiques, j’associais des visuels. Franchement, c’était une œuvre d’art.
Vous direz que je trie les publications… Et vous n’avez pas tort. D’ailleurs, je n’ai pas donné le lien du site, et ce n’est pas un hasard. J’ai quand même honte de certains posts, où j’exprime avec un aplomb dont je ne serais plus capable aujourd’hui que quiconque ne connait pas Bjork a un AI de — 92 (sic et sic), où j’assène que Britney Spears est nulle (I take that back), où je menace de tuer mon frère (pardon Constant).
Certaines phrases, notamment des références à un « admirateur secret » m’ont rendue plus triste. Forcément, il fallait qu’un homme me découvre… Un manque de confiance en moi et une ambivalence qui m’a suivie bien au-delà de l’adolescence. Mais c’est un autre sujet.
Le 8 juin 2006, je débute un nouveau Skyblog, cette fois-ci dédié aux Design et arts graphiques sous toutes leurs formes(ca veut dire tout sous toutes ses formes en fait)XD (oui, moi aussi j’ai dû relire pour comprendre ce que ça voulait dire). Exit le contenu personnel, je ne parle plus du tout de moi.
Fin également de l’orthographe inventif, même si je ne mets toujours pas d’accents. Peut-être que le clavier de la maison n’en avait pas ? Rappelez-vous que je suis en Grèce. Difficile cependant de savoir si le texte est de moi ou vient de copier-coller d’autres sources. Je fais des micro-dossiers sur la publicité, le hacking, Arctic Monkeys…
On est sur un ton plus sérieux, mis à part quelque héhé et XD, et je m’y retrouve beaucoup plus. J’y vois même les prémisses des blogs culturels que je tiendrai par la suite. Bye bye cringe.
Est-ce que c’est ça, grandir ? Devenir plus lisse, policé ? Avoir honte de l’enthousiasme sincère que l’on a ressenti, même si c’était pour Keane (que j’écoute en écrivant cet article pour bien me mettre dans l’ambiance) ou pour des pubs Louis Vuitton ?
C’était quand la dernière fois que j’ai fait du découpage pour orner mon Google Calendar ? Que j’ai eu l’impression de découvrir un truc avant tout le monde ? Et même, pourquoi pas, que j’ai assumé une opinion qui peut fâcher, juste parce que je suis à fond sur quelque chose ?
Zut, ça je le fais encore.
Le vertige de l’identité
C’est ça, le problème de cette personne qui tenait le Skyblog : c’est à la fois nous et quelqu’un d’autre. Dans les publications, il y a des tournures de phrases qui me font tomber de ma chaise : impossible que ça soit moi qui ai écrit ça. Et d’autres qui reflètent tellement mes obsessions encore actuelles que c’est clairement moi.
Je resterai fascinée toute ma vie par cette affiche.
Bibliophile, je devrais peut-être reclaim ce mot.
J’en suis repartie avec beaucoup de tendresse pour cette fille. J’aurais voulu faire un petit voyage dans le temps pour lui dire : tu es mignonne, tu n’as besoin de personne pour te le dire. Tu peux assumer d’aimer des trucs un peu bizarres et merde, pourquoi pas, d’être méchante et/ou prétentieuse. Ne cherche pas toujours l’approbation des autres. Continue de regarder des films d’horreur. Stay wierd.
Ok, donc j’ai changé tout en restant la même. Mais qu’en est-il d’internet ?
Une célébration de l’amitié
Je ne crois pas qu’on utilisait le terme « réseau social » pour parler de Skyblog en 2006 — en tout cas, je ne le connaissais pas. En relisant mes articles et les commentaires, j’ai été étonnée de constater à quel point ils s’adressaient souvent à mes amies. Je dédiais un texte à une fan de Gael García Bernal, j’interpellais une deuxième pour lui demander ce qu’elle pensait d’un sac… Il y a de nombreuses mentions à une camarade de classe que j’ai complètement perdue de vue et que je ne fréquentais pas plus que ça dans mes souvenirs. Mon Skyblog était une cour de récré parallèle, où je pouvais échanger avec les autres en fonction de passions communes plutôt que dans les groupes d’amis figés.
En 2009, j’ai créé mon compte Facebook pour regarder les photos de l’option théâtre (j’étais dans les dernières à m’en ouvrir un). Dans un souci d’exhaustivité, je suis allée voir mes vieux posts. Apparemment, je n’avais pas compris la différence entre Facebook et Twitter : je postais des status update cryptiques, le tout premier étant is playing with a little red bag (???). Très peu de commentaires. Je crie dans le vide, en espérant que quelqu’un me réponde. N’est-ce pas ce que l’on fait tous sur internet, comme le rappelle Pacôme Thiellement dans son excellente série Infernet ?
Mes Skyblogs étaient loin d’être populaires (comme moi), et la plupart des articles comptent un ou deux commentaires. Mais je ne sais pas pourquoi, je n’y ressens pas la même solitude. Peut-être parce que le format (à peine) plus long donne le sentiment qu’on écrit aussi pour soi, pour libérer sa pensée.
Aujourd’hui, quand je publie sur Facebook ou LinkedIn (j’ai clairement vieilli), j’ai plus l’impression de m’adresser à l’algorithme qu’à mes amis : va-t-il juger le post digne d’intérêt et donc leur permettre de le voir ? Facebook, par exemple, a décidé de favoriser le contenu dit « personnel » : les posts avec un lien externe sont moins visibles que ceux comportant seulement du texte et un selfie. Dommage pour moi.
C’était mieux aaaaaavant ?
Il y a une grande différence entre Skyblog et Facebook : le pseudonyme. Dès la création de sa plateforme, Mark Zuckerberg insiste sur la « sincérité » indispensable en ligne, qui passe forcément par l’usage de son vrai nom. On peut techniquement choisir un pseudonyme, mais c’est contraire aux règles d’utilisation de Facebook, et peut entraîner une clôture de compte.
Il n’y a donc aucune raison d’avoir deux comptes Facebook. Vous IRL = Vous Online. Centralisé sur une même page, qui n’oubliera jamais rien. Certes, mes vieux posts sont limités à mes amis. Mais j’en ai 1500.
Déjà sur Skyblog, j’étais consciente de mon image en ligne. Je publiais peu d’images de moi (ça n’a pas trop changé, j’ai toujours du mal à voir ma tête en photo), et dans une publication je demande à mes lecteurs de ne pas dire du mal des profs avant le voyage scolaire : PS meT pa leur nom dan les comentaire y en a k ion eT renvoye de l ecole pr avoir difame les prof….
Mais le blog était quand même perçu comme un lieu à soi, seulement accessible à celui qui avait le lien. C’était un espace de liberté, où on était « entre nous », tant qu’on respectait les règles de comportement en société — j’ai recensé très peu de propos insultants sur les Skyblog que j’ai visités. Une page où l’on pouvait être créative, certes aux dépens du bon goût (et de l’accessibilité ?).
Facebook a supprimé tout ça : aucune option de mise en page. Du texte et une image, point. Si on veut personnaliser, on est limités aux outils que la plateforme elle-même nous offre, principalement des émoticônes pour transmettre notre état d’esprit ou des fonds de texte super moches. Je ne suis pas une grande utilisatrice d’Instagram, mais il me semble que le même principe est à l’œuvre.
La navigation sur l’internet d’avant, sans fil d’actualité, me manque un peu. Quand il fallait se connecter à une adresse pour voir si son autrice avait publié un nouvel article. Rien ? Soupir, on ferme. Ça n’empêchait pas forcément de scroller à l’infini, cela dit. Je me rappelle des heures passées sur un Skyblog de plusieurs centaines de pages qui prenait la forme d’un roman-feuilleton peuplé de Sims.
Conclusion : Nostalgie de quoi, nostalgie de qui ?
Je ne suis pas nostalgique de mon adolescence. C’est une époque où j’étais mal dans ma peau, obnubilée par mes performances scolaires. Et pourtant… mon tour sur Skyblog m’a fait (re)découvrir une jeune fille curieuse et pas si lisse que ça.
Je suis peut-être plus nostalgique de l’internet d’avant. Celui où l’on ressentait moins la pression des algorithmes, où l’on naviguait sans but de page en page, où l’on choisissait ce qui tombait sous nos yeux.
Mais cette nostalgie technologique est liée à la nostalgie personnelle. Peut-être que le souci vient du fait que je me plie aux règles des plateformes, sans chercher les utilisations plus marginales ou privées. Je veux être vue, pas être bizarre (après tout, mon identité en ligne est à présent aussi professionnelle). Personne ne m’empêche de me créer un Finsta (faux compte Instagram tenu en parallèle de « l’officiel »), de participer à des discussions enflammées sur Reddit, ou de rejoindre des Discords créatifs.
Je ne sais pas vraiment comment les adolescents d’aujourd’hui vivent internet (preneuse de toute ressource qui va au-delà des analyses du type TikTok détruit notre jeunesse !!!).
J’espère simplement qu’ils trouvent des espaces d’expression et de connexion dans l’océan numérique. Une flaque à soi. Un Skyblog.
Ressources
Comment sauvegarder ton Skyblog
Les Skyblogs, l’adolescence du web — une série de podcasts très documentés par la journaliste Lucie Ronfaut, dont je conseille aussi l’excellente newsletter tech et société « Règle 30 »
Skyblog Museum — un compte Instagram qui promet des tranches de Skyblog sans contexte
The Lost Cities of Geo — un podcast sur GeoCities, plateforme de construction de sites des années 1990, qui m’a fait penser à Skyblog